Apport
de l’acupuncture dans la prise en charge des algosdystrophies.
Premiers résultats d'une étude de cas cliniques
Résumé : l'algodystrophie est
une pathologie fréquente, invalidante, douloureuse, d'évolution spontanément
régressive mais parfois longue. En Médecine Traditionnelle Chinoise l'algodystrophie correspond à l'évolution d'un Bi
Humidité/Chaleur vers un Bi Froid/Humidité qui entraîne des
perturbations énergétiques, les patients étant le plus souvent vus au stade de
stagnation de Yin en superficie. Les premiers résultats d'une étude cas
cliniques sur l'apport de l'acupuncture dans la prise en charge de cette
pathologie sont encourageants. Ils montrent une amélioration franche de la
douleur et de la raideur articulaire et une évolution plus rapide vers la
guérison. Mots-clés : algodystrophie,
acupuncture, moxibustion, étude cas cliniques, stagnation de Yin.
Summary : algodystrophy is a common, disabling painful
spontaneously regressive evolution but sometimes long. Traditional Chinese
Medicine in algodystrophy corresponds with the development of a Bi
Humidity/Heat to a Bi Cold/Humidity causing energy disruptions, patients are
most often seen at the stage of stagnation in the area of Yin. The first
results of a clinical case study on the contribution of acupuncture in the
management of this disease are encouraging. They show a frank improvement of
pain and articular stiffness and a faster evolution towards the cure.
L'algodystrophie ou syndrome douloureux complexe de type 1
est définie (Congrès d'Orlando en 1994) comme une douleur persistante dans un
segment de membre secondaire à un traumatisme ou à une lésion tissulaire en
particulier osseuse, ligamentaire ou neurologique et qui n'implique pas un gros
tronc nerveux, associée à une dysrégulation
sympathique.
Le diagnostic
est avant tout clinique et associe :
- une douleur continue
disproportionnée par rapport au traumatisme en durée ou en intensité
- au moins 1 symptôme dans 3 des 4
catégories suivantes :
- troubles sensoriels :
hyperesthésie, allodynie
- troubles vasomoteurs : asymétrie
thermique, cyanose
- troubles sudoromoteurs,
oedème
- troubles trophiques : raideur et
plus tardivement faiblesse musculaire, tremblements, dystonie, troubles
trophiques des ongles et de la peau.
En fait l'algodystrophie présente 3 phases évolutives :
- une phase aiguë ou phase chaude avec douleur
importante, allodynie, oedème, troubles thermiques,
tremblements (dans 20% des cas on a l'association douleur / rougeur / chaleur /
oedème)
- une phase dystrophique ou phase
froide avec des douleurs surtout mécaniques, une impotence fonctionnelle avec
raideur, une déminéralisation osseuse, un aspect froid cyanosé des téguments,
des oedèmes encore possibles
- une phase atrophique ou phase séquellaire au-delà de 6 mois d'évolution.
La durée de chaque phase est variable, les phases peuvent se succéder rapidement dans un ordre variable avec possibilité d'aller et retour entre les 2 premières phases.
A noter que
chez l'enfant et l'adolescent les formes sont froides d'emblée.
Il existe
plusieurs facteurs déclenchants :
- des facteurs traumatiques et
post-opératoires dans 50% des cas (avec une sévérité de l'algodystrophie
non proportionnelle à l'intensité du traumatisme)
- des facteurs neurologiques (comme
le syndrome épaule-main au décours d'une hémiplégie), vasculaires (infarctus du
myocarde), infectieux, dans les cancers
- des facteurs iatrogéniques :
phénobarbital, trithérapie, ciclosporine
- idiopathique dans 30% des cas.
Les
articulations les plus souvent concernées sont celles des membres inférieurs
(genou et cheville), moins souvent celles des membres supérieurs (main et
poignet) à l'exception de la capsulite rétractile de
l'épaule considérée aussi comme une algodystrophie.
L'algodystrophie de la hanche est plus rare et se
voit surtout chez la femme enceinte.
L'imagerie
repose surtout sur la scintigraphie osseuse qui distingue 3 phases :
- une phase chaude : hyperfixation
aux 3 temps (vasculaire précoce, tissulaire et osseux)
- une phase secondairement froide :
temps vasculaire et tissulaire normaux,
hyperfixation au temps osseux
- une phase d'emblée froide (enfant)
: hypofixation aux 3 temps.
La
radiographie simple va montrer une déminéralisation mouchetée sous-chondrale (avec corrélation entre les signes inflammatoires
et l'intensité de la déminéralisation).
Les
thérapeutiques proposées ont pour but de lutter contre la douleur :
- mise en décharge
- antalgiques
- kinésithérapie, balnéothérapie
- infiltrations
- calcitonine, biphosphonates
- Lyrica®,
Kétamine
Les blocs
régionaux sont abandonnés.
Dans la capsulite rétractile peut être proposé en cas d'impotence
fonctionnelle majeure une infiltration/distension articulaire et des TENS.
L'algodystrophie
en médecine traditionnelle chinoise
L'algodystrophie peut être considérée comme secondaire à la
pénétration d'une énergie perverse Xie à
l'origine d'un Bi Humidité/Chaleur évoluant vers un Bi
Froid/Humidité. Le Xie atteint d'abord la
superficie donnant des manifestations humidité/chaleur avec douleur, chaleur,
rougeur et oedème (phase aiguë). Très rapidement l'énergie perverse s'enfonce
en profondeur, entraînant une perturbation de la circulation des énergies Wei
et Rong, un épuisement progressif du Yang
en superficie et une stagnation du Yin (phase dystrophique). Le Xie atteint le grand méridien Shaoyin donnant des manifestations froid/humidité et
d'atteinte du Rein Yang avec déminéralisation de type ostéoporotique,
raideur douloureuse marquée et troubles trophiques (phase atrophique).
Le patient est le plus souvent vu à la phase de stagnation de Yin débutante qui associe douleur, oedème, raideur, troubles vasomoteurs et déminéralisation osseuse débutante (comme en témoignent l'aspect de déminéralisation mouchetée à la radiographie, les possibilités de succession rapide et de va-et-vient des différentes phases et le caractère des douleurs décrites par les patients fréquemment pongitives et améliorées par la chaleur).
Comme le
spécifie le Suwen, la pénétration du Xie est possible parce que le Jinqi du patient est déjà affaibli. On peut
penser que la pénétration en profondeur du Xie
est rapide parce que les énergies Wei et Rong
du patient sont déjà en insuffisance (mauvais fonctionnement du Triple
Réchauffeur par exemple).
A la phase initiale
inflammatoire de pénétration du Xie
- saignée des points Ashi
- dispersion des points locaux
A noter que le patient est rarement vu à cette phase, il existe souvent un retard au diagnostic et l'acupuncteur est rarement sollicité en première intention.
A la phase de stagnation de Yin
Points
locaux-régionaux
Point Xi et
point Chaleur des méridiens principaux concernés avec aiguille chauffée sur le
point Chaleur
points Xi : 6P, 7GI, 6C, 6IG, 4MC, 7TR, 8Rp,
34E, 6F, 36Vb, 5R, 63V.
points
Chaleur : 10P, 5GI, 8C, 5IG, 8MC, 6TR, 2Rp, 41E, 2F, 38Vb, 2R, 60V.
u moxibustion
des points Jing Proximaux des méridiens
principaux concernés qui sont les points de «débarquement» des Xie : 8P, 5GI, 4C, 5IG, 5MC, 6TR, 5Rp, 41E, 4F,
38Vb, 7R, 60V.
u moxibustion
sur les points Ashi de la zone
douloureuse.
Points
généraux
Ils sont
fonction de l'examen du patient (les 8 règles thérapeutiques, le pouls, la
langue)
u points
barrière des membres :
|
genou |
cheville |
épaule |
poignet |
|
point
de commande d'entrée de l'énergie yang |
36VB |
63V |
15
ou 13GI |
6IG |
|
point
de commande d'entrée de l'énergie yin |
5R |
8RP |
2MC |
6P |
|
point
de commande de sortie de l'énergie yang |
36VB |
37
ou 39E |
11IG |
8
ou 9GI |
|
point
de commande de sortie de l'énergie yin |
5R |
6F |
2P |
4MC |
u action
sur le taiyin qui envoie de l'énergie vers la
superficie : 7P, 6RP (action sur les oedèmes).
u action
sur le yinweimai : 6MC.
u points
des Moelles : 16GI (épaule), 8TR (membre supérieur), 39Vb (membre inférieur).
u point
hui des os : 11V.
u points
d'équilibrage énergétique : 17V pour mobiliser le yin (mer du sang) et
17VC (aide à la production de l'énergie wei).
u tonification
des reins : 23V en moxibustion.
Premiers résultats d'une étude
de cas cliniques
Revue des études dans la littérature
La plupart
des études réalisées sont non randomisées et utilisent l'électroacupuncture.
Elles montrent cependant des résultats cliniques encourageants notamment sur la
prise en charge de la douleur. Ceux-ci ont justifié la poursuite de la pratique
des techniques acupuncturales dans la prise en charge
de l'algodystrophie au sein des équipes ayant
réalisées les études.
Il existe 2
études randomisées en double aveugle avec un groupe acupuncture et un groupe sham-acupuncture (étude de KORPAN et étude de ERNST et FIALKA). Mais dans les 2 cas le nombre trop
petit de patients inclus (14 dans chaque étude) ne permet pas de conclure à un
résultat. Cependant elles montrent une amélioration très nette des douleurs et
un taux de satisfaction des patients plus élevés dans le groupe acupuncture.
Premiers résultats de l'étude de cas cliniques
Cette étude
est menée en collaboration avec le docteur Laurence Voisin-Becquet, médecin
rhumatologue à Rouen, qui décide de l'inclusion du patient dans l'étude et
valide l'effet de l'acupuncture sur l'évolution de l'algodystrophie
à la fin des séances. Le diagnostic d'algodystrophie
est fait sur la clinique, la scintigraphie osseuse ou la radiographie. Il est
uniquement clinique dans le cas de la capsulite
rétractile de l'épaule. Enfin l'acupuncture n'est associée qu'à la
kinésithérapie.
L'effet des séances est jugé sur :
- la satisfaction des patients
- l'action sur la douleur avec
l'utilisation de l'EVA (évaluation avant la première séance et à la dernière
séance), les patients inclus dans l'étude ayant une EVA > 4
- l'amélioration de la raideur et
des troubles trophiques avec facilitation du travail du kinésithérapeute. Pour
les capsulites rétractiles la raideur est évaluée
avant et après les séances sur les mouvements d'abduction antérieure, de
rotation externe et la distance main-fesse.
Le diagnostic
énergétique est fait par l'interrogatoire en utilisant les 8 règles
thérapeutiques et par l'examen du pouls et de la langue.
Les premiers
résultats de l'étude portent sur 28 patients dont 2 enfants (le but étant
d'inclure une soixantaine de patients).
Les
localisations sont les suivantes : capsulite
rétractile de l'épaule (10), carpe (4), doigts (1), genou (5), cheville (4),
pied (4).
Le nombre de
séances effectuées est en moyenne de 8 pour les capsulites
rétractiles et de 5 pour les autres localisations.
Les douleurs
sont le plus souvent décrites par les patients comme superficielles, pongitives et améliorées par la chaleur (stagnation de Yin
en superficie).
Dans tous les cas on peut exclure la notion de guérison spontanée de l'algodystrophie. Ou l'amélioration est précoce, inférieure au temps de guérison spontanée (au minimum de 6 mois pour la capsulite rétractile et 3 mois pour les autres localisations) ou l'algodystrophie est installée dans la chronicité et améliorée par les séances d'acupuncture.
Sur les 28
cas inclus les résultats sont jugés positifs dans 25 cas avec une diminution
des douleurs (évolution de la douleur moyenne à l'EVA de 6,2 à 1,6) et une
amélioration de la raideur avec facilitation du travail du kinésithérapeute.
Dans ces 25 cas la guérison de l'algodystrophie a été
accélérée et pour certains a permis une reprise rapide du travail.
Pour 3 cas
les résultats ont été jugés négatifs. Il s'agissait de 2 capsulites
rétractiles très serrées (avec une rotation externe < à 20%) et d'une algodystrophie ancienne compliquée d'une arthrose.
Conclusion
Les premiers
résultats de cette étude sont plutôt encourageants. L'acupuncture semble
permettre une nette régression des douleurs de l'algodystrophie,
une amélioration de la raideur et un raccourcissement du délai de guérison.
Nous espérons que la suite de l'étude le confirmera et pourra ouvrir la voie à
une étude randomisée.
|
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Dr Sylvie
Bidon
226,
rue Saint Julien 76100
ROUEN 02
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Références
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<http://www.gera.fr/Downloads/Formation_Medicale/MAIN-POIGNET-ET-ACUPUNCTURE/algodystrophie%202002.pdf>
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